Chers amis,
Le président de RTE (Réseau de Transport de l’Électricité) dit enfin ce que le président de nos fédérations nationale et européenne, Jean-Louis Butré, et le président de notre fédération régionale, Hervé Texier, répètent depuis une dizaine d’années.
Association Laizon Environnement
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Entretien avec Dominique Maillard, président du directoire du Réseau de transport d’électricité (RTE).
La France est-elle menacée par une pénurie d’électricité, voire un black-out ?
Je préfère parler de pénurie plutôt que de black-out, lequel serait la conséquence d’un accident sur le réseau. L’hiver 2013-2014 se présente de façon satisfaisante, avec une consommation probablement stable et un surcroît d’offre de 1 300 mégawatts (MW) par rapport à l’hiver dernier.
Mais, à l’horizon 2015-2016, oui, la France est confrontée à un risque de pénurie : ses marges de sécurité sont réduites à zéro en période de pointe – contre normalement 5 à 6 gigawatts de capacités de production disponibles en plus de la consommation.
Lire notre dossier Electricité : la peur de la grande panne
La situation risque d’être tendue en cas de reprise économique ; elle aurait une incidence mécanique sur la consommation d’électricité. En outre, d’ici à 2016, des centrales au charbon et au fioul ne répondant plus aux normes environnementales vont fermer en Europe. A cela s’ajoute un phénomène économique : le prix du charbon a baissé et certaines centrales au gaz, qui ne sont plus rentables, ont fermé.
L’investissement des grandes compagnies européennes dans les réseaux est-il suffisant ?
L’effort de Réseau de transport d’électricité (RTE) a été significatif : il est passé de 700 millions d’euros en 2007 à 1,4 milliard en 2013. Nous avons achevé de grands projets, comme la ligne reliant l’EPR de Flamanville (Manche) à Laval (Mayenne). L’interconnexion France-Espagne, dont on parlait depuis vingt-cinq ans, sera ouverte en 2014.
Le véritable facteur limitant le développement du réseau, ce sont les délais de concertation et d’approbation. Il a fallu 8,5 ans pour les 2 000 MW de transit apportés par la ligne de Flamanville. La longueur des procédures administratives n’est pas le gage de la qualité du dialogue.
C’est vrai dans de nombreux pays, et RTE, avec quatorze autres grands réseaux dans le monde, a alerté les gouvernements : nous risquons de ne pas être au rendez-vous pour raccorder les nouvelles sources de production. L’Allemagne, par exemple, raccorde chaque année 7 000 MW de solaire photovoltaïque.
Jusqu’à quel pourcentage d’énergies renouvelables (ENR) peut-on gérer le réseau ?
Il n’existe pas de limite physique, et l’on peut imaginer une gestion avec 100 % d’énergies renouvelables. Mais il faudrait alors adapter le réseau pour compenser leur intermittence : stockage de l’énergie, productions complémentaires d’appoint au charbon ou au gaz, maîtrise de la demande grâce aux réseaux intelligents (smart grids), développement des lignes à haute tension et des interconnexions.
Grâce aux interconnexions avec ses voisins, le Danemark pourrait être exclusivement alimenté par des ENR. La question de la part de ces énergies renouvelables n’est pas d’ordre technique, mais économique et financier, pour couvrir les coûts des moyens à mettre en oeuvre.
Verra-t-on, avec le développement des ENR de proximité, la fin du système actuel, fait de puissantes centrales et grands réseaux de transport ? Bref, à une forme de relocalisation ?
Je ne le crois pas. Le seul moyen de se passer du réseau de lignes à haute tension, ce serait de stocker l’électricité. Or il n’est pas actuellement envisageable d’avoir des stockages divisés au plus près des lieux de production et de consommation.
L’utilité d’un réseau demeure d’autant plus qu’il assure une mutualisation. C’est un outil de solidarité entre les territoires qui assure la sécurité de leur consommation : l’Ile-de-France produit moins de 10 % de sa consommation ; à l’inverse, la région Rhône-Alpes produit plus de deux fois ce dont elle a besoin. Cette mission de solidarité va durer.
Aujourd’hui, il est vrai que le moteur du développement des réseaux n’est plus l’évolution de la demande à laquelle la production s’adapte, mais le changement de la géographie de l’offre d’énergie. En complément du renforcement du réseau de transport d’électricité, les smart grids donnent des conditions favorables au développement des ENR.
Fait-on assez, en France, pour promouvoir l’« effacement », qui prévoit qu’un client peut réduire sa consommation en période de pointe ?
Le gisement disponible est loin d’être exploité à plein. Il y a trois moyens de le faire. On peut envoyer des « signaux prix » en modulant les tarifs entre heures creuses et heures de pointe. On peut mobiliser les usagers pour leur demander de réduire leur consommation – RTE le fait en Bretagne, où l’on a ainsi gagné 40 MW grâce à l’adhésion de 40 000 foyers volontaires. On peut enfin rémunérer ceux qui participent à l’équilibre offre-demande. Nous privilégions l’effacement quand il est techniquement et économiquement aussi intéressant, ou plus, qu’une production supplémentaire.
Source : LE MONDE | 17.11.2013 | Propos recueillis par Jean-Michel Bezat